le culte des ancêtres au VietnamPréliminaires Ce texte, revu et complété, fut à l'origine une intervention lors d'une rencontre organisée par le Centre Social du Grand Parc que nous remercions de nous avoir accueillis et par l'association Le "Cours de vietnamien" de Bordeaux. Pour plus d'informations, visitez leur site : http://van.culture.free.fr . Pour réaliser les caractères hán việt que vous rencontrerez dans ces pages, nous avons utilisé l'extraordinaire cédérom Dictionnaire interactif chinois - français de Renaud Bouret dont vous prendre connaissance sur le site : http://www.ramou.net. Ce que je vais tacher de décrire de ce culte doit être compris comme une sorte de modèle standard. En effet de nombreuses variations ont été observées et décrites selon les époques historiques, selon l’importance des influences extérieures, selon les régions, selon les classes sociales etc. Il est par exemple compréhensible que le culte des ancêtres dans une famille de mandarins à une époque où le confucianisme était l’idéologie officielle n’est pas complètement superposable au culte des ancêtres pratiqué dans une famille paysanne à la fin du XXème siècle. Bien entendu cette remarque n’est pas spécifique au Việt Nam. Si nous avions considéré l’Islam du temps du Prophète en Arabie et l’Islam en Andalousie au Xème siècle ou bien le catholicisme avant et après la révolution française, nous aurions constaté de la même manière de nombreuses variations. Il faut enfin savoir que le Việt Nam moderne possède ses propres caractéristiques. Il est bien évident que la colonisation, un demi-siècle de guerre interne, la nature d’un régime socialiste qui a un temps voulu abolir les références traditionnelles ou encore la configuration démographique sont autant de facteurs qui influencent nécessairement toutes les pratiques sociales. Par exemple, une personne sur deux ayant moins de 18 ans, comment la question de la transmission ne pourrait-elle pas y être problématique ? IntroductionSi vous avez la curiosité de lire la plupart des guides de voyages concernant le Việt Nam vous remarquerez que dans un premier temps on vous expliquera que les Vietnamiens sont bouddhistes, dans un second temps on vous expliquera qu’en réalité le monde religieux vietnamien est la rencontre de trois courants : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. Ce sera seulement dans un troisième paragraphe que l’on vous exposera pêle-mêle et comme secondaires, le culte des ancêtres, l’existence de quelques minorités religieuses comme les chrétiens, les caodaïstes et même quelques milliers de musulmans. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur ces considérations religieuses, je les ai seulement mentionnées pour dire que la présentation occidentale qui en est le plus souvent faite est critiquable. Ainsi, le culte des ancêtres n’est pas une religion particulière, il s’agit d’un fait culturel et d’une pratique sociale qui traverse les différents courants religieux et qui peut même concerner des personnes et des familles ne se réclamant pas d’appartenances religieuses. On peut rencontrer des Vietnamiens athées, voire marxistes, pratiquant à leur manière le culte des ancêtres. A mon humble avis il est en partie dommageable d’avoir originellement traduit par le mot « culte », non pas par rapport à la pratique elle-même mais par rapport aux représentations culturelles que ce mot suscite dans un esprit occidental. Le célèbre ethnologue anglais, A.R. Radcliffe-Brown rapporte l'histoire suivante : « Un habitant du Queensland rencontra un Chinois qui portait un bol de riz sur la tombe de son frère. L'Australien, en plaisantant, lui demanda s'il pensait que son frère viendrait le manger. Le Chinois répondit : "Non, nous offrons du riz aux gens pour exprimer notre amitié et notre affection. mais d'après votre question, je suppose que dans votre pays, vous mettez des fleurs sur la tombe d'un mort, parce que vous croyez qu'il aimera les regarder et sentir leur parfum." »[1]. [image] Cette possible ironie nous questionne en miroir. Dans le cadre de nos sociétés où les religions sont monothéistes, il existe un partage plus ou moins manifeste entre un monde terrestre et un monde transcendant, c'est-à-dire un monde hors de portée de l’expérience et de la pensée humaine. Dans ce contexte le mot culte est étroitement associé avec le monde transcendant, voire avec un dieu. Le culte des ancêtres ne se situe pas à ce niveau. Il renvoie plutôt à des choses éminemment terrestres, à des choses vécues, à des choses sensibles, la vie, la mort, la famille, le deuil, les liens affectifs, la continuité des générations. Si vous pouvez ressentir votre propre émotion lorsque vous déposez des fleurs sur la tombe d'un proche, vous êtes proches de sympathiser avec quelqu’un qui pratique le culte des ancêtres. Néanmoins, la connaissance d'une notion sino-vietnamienne fondamentale, la piété filiale, hiếu, est incontournable.
la notion de piété filialeaperçu historiqueBeaucoup de spécialistes voudraient réduire le culte des ancêtres à une production confucianiste mais nous pensons qu’il s’agit précisément du contraire et que l'on pourrait tout autant soutenir l’inverse avec de réels arguments historiques et anthropologiques. Sous des formes diverses les cultes faits aux ancêtres sont quasiment des universaux même si les grandes religions les ont éclipsés voire écartés. Ce que l’on a appelé la querelle des rites (1552-1773) est une démonstration du problème de ce qui est religion ou pas. Aussi ancienne soit-elle, la « Doctrine des lettrés », Nho giáo, n’est peut-être à l’origine qu’un aboutissement particulier du culte des ancêtres. Bien évidemment, par émergence, le Khổng giáo, soit l’Enseignement de Khổng a constitué son corpus de concepts spécifiques et sa propre conception du monde avec la piété filiale comme fil conducteur. Ainsi, au-delà même de la seule question des origines, il est manifeste que le culte des ancêtres au Việt Nam s'exprime dans ses formes et ses représentations au confucianisme. Les références littéraires les plus anciennes ramènent sans cesse au Classique de la piété filiale, 孝經, Xiàojīng (hiao king), parfois attribué à Confucius, parfois à son disciple Zēngzǐ - 曾子. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un dialogue entre les deux lettrés. La piété filiale y est déclinée sous toutes ses formes. Cet ouvrage est connu au Việt Nam comme Hiếu Kinh et leurs auteurs comme Khổng Tử et Tăng Tử. Sur cette couverture d'un exemplaire datant de 1826, on voit (à droite) le caractère ancien qui représente la notion de piété filiale. Il est très explicite : sa décomposition montre un vieillard 老 [zh : lǎo] qui s’appuie sur un enfant 子 [zh : zǐ] pour faire le caractère 孝 [zh : xiào] [2]. Aujourd’hui, en Occident, nous sommes tant habitués à plutôt considérer nos parents comme les tuteurs et les garants de nos propres ambitions que cette seule image peut présenter une difficulté. Il ne s’agit pourtant pas de représentations opposées, les parents vietnamiens sont tout autant dévoués au bonheur de leurs enfants. Cependant, le respect filial est érigé en principe fondateur non seulement des relations familiales mais aussi de l’ensemble des relations sociales.
exemples de piété filialeJusqu’à une époque pas très lointaine la plupart des enfants vietnamiens connaissaient peu ou prou Les vingt-quatre exemples de piété filiale [nhị thập tứ hiếu en sino-vietnamien et hai mười bốn hiếu en vietnamien]. Je ne les mentionnerai pas un à un mais seulement quelques exemples particulièrement remarquables en ce qu’ils laissent supposer de la nature, de l’importance et de l’intensité de cette piété filiale.
fr. et vn en écriture actuelle : quốc ngữ | Caractères hán việt | A. Pour sa mère enterrer son enfant Vị mẫu mai nhi | 庶母埋兒 | B. En pleurant sur les bambous il en fait jaillir les pousses Khốc trúc sinh duẩn | 泣竹生笋 | C. Laisser les moustiques se rassasier de son sang Tư văn bão huyết | 忍蚊飽血 | Les vingt-quatre exemples sont consultables en cliquant ici |
Chacun de ces exemples renvoie à une histoire complète. D'une manière identique à celle d'une planche de nos bandes dessinées, l'ensemble était aussi figuré sous forme de panneaux sur lesquels chaque histoire était figurée. Ainsi l'histoire de l'exemple A peut se résumer de la façon suivante : «.. Il n'y avait pas à manger pour tout le monde. Quách Cự dit alors à sa femme :"Notre petit garçon mange tellement qu'il n'en reste pas assez pour notre mère. Nous pouvons encore avoir d'autres enfants, tandis que nous ne pourrons avoir d'autre mère". Ils se mirent alors d'accord ... pour enterrer leur enfant. Il commença à creuser un trou lorsque sa pioche rencontra une jarre remplie d'or.» L'exemple B relate l'histoire de Công-vũ, lequel pour soigner sa mère devait lui donner un bouillon de pousses de bambou. Malheureusement, on était en plein hiver et cela était impossible. Triste, Công-vũ serra de ses bras un bambou et lui confia en pleurant son désarroi. Par miracle de jeunes pousses surgirent alors de terre. L'exemple C est l'histoire de Ngô Mãnh, enfant d'une famille très pauvre qui ne pouvait s'offrir une moustiquaire. A peine âgé de huit ans, ce dernier se mit un peu à l'écart de ses parents qui dormaient, bomba le torse afin d'attirer les moustiques et de protéger leurs sommeils. Comme toutes ces histoires ont généralement une fin heureuse, Ngô Mãnh y gagna le pouvoir magique de traverser "les fleuves sans bateau en agitant simplement un éventail de plumes au-dessus d'eux"[3] . Les vingt-quatre exemples sont consultables en cliquant ici. Famille et Culte des ancêtresCette piété filiale s’exerce bien entendu au sein de la famille mais il est nécessaire de définir plus précisément ce que l’on entend par famille. Il n’est pas du tout évident que la conception moderne de la famille corresponde point par point à ce que je vais décrire mais la conception traditionnelle constitue encore les lignes de force et l’infrastructure de la famille actuelle. L’unité sociale de base correspondait à peu près à ce que l’on entend par la notion de clan, c'est-à-dire à un certain nombre de familles, nhà ou gia 家 au sens étroit, se reconnaissant un ancêtre commun, thủy tổ 始 祖. C’est cela qui explique encore aujourd’hui le nombre restreint de « nom de famille », họ 戶, sachant que ce terme signifie aussi "famille" - (voir Nominations en Asie)-. Dans la réalité pratique du culte des ancêtres, il est plus compréhensible de parler de tộc 族. Là encore, les caractères hán việt (ou nôm dans certains cas) permettent de donner des précisions. Nhà s'écrit 家 et l'on peut y reconnaître un porc 豕 sous un toit 宀 ; cette représentation s'associe aisément à une unité agricole, telle une ferme dans laquelle vit une famille étendue. Le caractère de tộc, 族 se décompose quant à lui en une flèche ou un serment 矢 sous la clé des drapeaux, étendards 旗. Il y a dans cette représentation l'idée d'un rassemblement, d'une alliance sous un même emblème symbolisant le clan. En fait, le tộc se déploie sur neuf générations, de là son nom sino-vietnamien cửu tộc 九 族, plus précisément quatre en ascendance et quatre en descendance, le sujet de référence étant au milieu. Il semble qu’aujourd’hui le culte des ancêtres tend à se « décentraliser », surtout en ville, mais traditionnellement le clan, le tộc (donc plusieurs familles au sens étroit, nhà ) possède un lieu de culte ancestral commun, le từ đường ou parfois nhà thờ, situé chez le chef de la parenté du clan appelé le trưởng tộc. Dans le nord du pays, ce dernier est l’aîné de la branche la plus âgée et il peut donc se trouver le cas que ce « chef » soit plus jeune que ses oncles tout en ayant la charge du culte et de l’administration des biens cultuels qui en dépendent, le hương hỏa. Dans le sud, cette fonction est plutôt exercée par le membre le plus âgé de la génération proche de l’ancêtre. Bien entendu la langue vietnamienne possède des termes spécifiques pour désigner les familles, les fonctions et les pratiques. Chaque personne se situe dans deux familles, hai họ, comprenant donc la lignée paternelle, họ nội , et la lignée maternelle, họ ngoại. En pure tradition, le culte des ancêtres pour un individu donné ne concerne que la lignée paternelle. Cela signifie aussi que la société vietnamienne s’est inscrite pendant des siècles dans le système de parenté dit patrilinéaire. Il est significatif que nội et ngoại se traduisent respectivement par intérieur et extérieur. Rappelons que le sentiment particulier qui relie tout cet ensemble est la piété filiale, hiếu. Après avoir expliqué le cadre général, j’en viens à décrire précisément les différentes phases qui constituent la transition entre le monde des vivants et le monde des ancêtres. Là aussi bien entendu ma description doit être comprise comme un modèle standard et classique. Obsèques et culte des ancêtres Après le décès constaté le visage est recouvert de trois feuilles de papier et d’un carré d’étoffe ou de soie rouge. On confectionne alors une sorte de mannequin de soie blanche représentant le corps du défunt. Ce mannequin est posé sur la poitrine et quelqu’un de la famille monte sur le toit de la maison pour appeler par trois fois le nom du mort. De cette manière on pense qu’une âme du défunt intègre le mannequin qui devient alors « la soie de l’âme », hồn bạch 魂 帛.
[images] A cette première phase succède une cérémonie des offrandes très particulière appelée phạn hàm 飯 含 (riz cuit-repas / garder dans la bouche). Il s’agit symboliquement de partager un dernier repas et aussi vraisemblablement de ne pas laisser le défunt démuni. Pour ce faire on introduit dans sa bouche du riz et trois pièces de monnaie. Le corps est ensuite lavé, habillé et on lui entoure la tête d’un turban noir ou rouge, exceptionnellement blanc si les parents du défunt lui survivent. Cela s’explique par le fait que le décédé anticipe sur la mort de ces derniers. Le corps est ensuite mis en bière, à une heure donnée, et l’on place une table sur le devant, table sur laquelle on pose un brûle-parfum, deux bougies, des fleurs, de l’eau, du bétel et le mannequin de soie - hồn bạch. Enfin un bol de riz contenant un œuf cuit à l’eau est placé au milieu du cercueil. Ces derniers sont changés deux fois par jour et ce jusqu’à l’enterrement.
Dans une cérémonie particulière, lé̃ thàn phục, sont remis les vêtements de deuil dont les formes, les manières de les porter, les caractéristiques étaient autrefois extrêmement codifiées selon le degré de proximité avec le mort. Les proches s’habilleront de vêtements faits de gaze blanche, vái sô, couleur du deuil, et entoureront leurs fronts d’un turban de même couleur. Les visites des parents et amis sont accompagnées d’offrandes diverses, nourritures, cierges, argent, panneaux de louanges écrits en caractères anciens. De tout temps, semble-t-il, ces derniers ont été considérés comme des opérateurs à l'égard du monde invisible. Que ce soit pour des cérémonies, religieuses ou civiles, sur des banderoles, des frontons, des bannières, des portes de maisons [4], des images populaires, des colonnes de temples ou de pagodes, des estampes, des amulettes bùa ou des "e-cards" pour la nouvelle année, les caractères hán việt et nôm sont partout présents. Ils protègent et assurent la réussite. Ils contribuent à repousser les démons et les maladies ou bien à attirer la chance, l'argent, la santé, bref le bonheur. Nous limiterons ici notre présentation à quelques caractères généralement présents sur les autels des ancêtres et lors des funérailles. Cependant et au-delà de ce cadre, on ne peut méconnaître ceux qui sont omniprésents et qui sont figurés sur l'image et dans le tableau ci-dessous.  | 福 | phúc | bonheur | 禄 | lộc | émoluments | 壽 | thọ | longévité |
Au-dessus des autels qui ont une sorte de fronton ou sur les images qui servent à en tapisser le fond apparaissent généralement les trois caractères suivants : 德 流 光. En quốc ngữ, ils s'écriraient đức lưu quang et pourraient se traduire par : la vertu (des ancêtres) transmet son éclat (à la suite des générations). On y trouve aussi fréquemment 敬, c'est à dire le respect - kính , 誠, thành - la sincérité, 實, quí - la noblesse, 寧, ninh - la paix. D'une manière plus générale, la plupart des caractères ont à voir avec les manifestations de la piété filiale entre le pôle de l'affection et celui de l'obéissance ou du respect. Je ne vais pas décrire la procession elle-même qui s’est aujourd’hui beaucoup simplifiée, retenons seulement que le cortège était extrêmement rigoureux dans l’ordre des personnes, des objets, des symboles. Dans le cas de la mort du père ou de la mère le fils a un « bâton de pleurs » dont la longueur est déterminé par la hauteur entre le sol et le cœur, en bambou pour le père et en bois de đóng (érythrine) pour la mère. Autrefois le faste était manifeste et beaucoup de familles devaient s’endetter pour parfois plusieurs années. Au cours de l’inhumation était procédé au dernier coup de pinceau venant achever le nom du défunt sur une tablette - bài - vị qui représentait ensuite ce dernier sur l’autel des ancêtres mais seulement à la fin des phases suivantes. Le retour à la maison est marqué par une cérémonie, celle de la paix du cœur, le ngu tế. La tablette, aujourd’hui la photographie, prend sa place sur l’autel et le mannequin de soie est enterré près de la tombe. Pendant les 49 jours (chung thất) qui suivent, on brûle de l’encens et l’on offre quotidiennement un repas. Pour les bouddhistes ont lieu des prières de pénitence à la pagode. Le 50ème jour une cérémonie clôt cette période. Ce sera au 100ème jour que les offrandes quotidiennes cesseront d’être systématiques et prendra fin la période dite des lamentations, tốt khốc. Un an plus tard a lieu la cérémonie de l’anniversaire de la mort, le tiểu tường, le petit sacrifice du bout de l’an où l’on brûle une partie des effets du deuil. Le second anniversaire de la mort ou grand sacrifice, le đại tường, achève la période de deuil social. C'est à ce moment là que la tablette rejoignait l’autel des ancêtres. En général, deux mois après le second anniversaire a lieu la fin du deuil des parents, le đàm tường, parfois nommé đàm giỗ. [ voir
le bel article du Dr Luong sur le site de
l'Association Géza Roheim ]. Tous les ans à partir de la troisième année anniversaire la famille est réunie pour un grand repas devant les ancêtres. Cette cérémonie est à distinguer de celle qui a lieu pendant les premiers jours de l’an, à l’occasion de la Fête du Tết . Là, les ancêtres sont accueillis au milieu de la dernière nuit de l’année pendant au moins trois jours avant d’être reconduits. En dehors de ces périodes particulières, les ancêtres sont informés et consultés pour toutes les grands évènements de la vie tels les mariages, naissances, succès aux examens etc. L’autel des ancêtres ne doit pas être confondu avec d’éventuels autres autels tels ceux qui honorent différents génies dont le plus connu est celui du Foyer, Ông Táo. Certaines caractéristiques de ce culte sont plus compréhensibles si on les associe à une conception traditionnelle de la personne humaine, notamment celle qui considère que l'être humain possède plusieurs âmes. Ce sujet étant spécifique, nous l'avons traité dans une autre page à laquelle vous pouvez accéder en cliquant ici. ConclusionJe voudrais rappeler une nouvelle fois que la description schématique que je viens de faire doit être comprise comme une sorte de modèle qui sous-estime les variations, les évolutions, les transformations. Je connais des textes de lettrés vietnamiens datant de 1931 dans lesquels ces derniers se plaignaient déjà de la dégénérescence des rites liés au culte des ancêtres. Ainsi au-delà des apparences manifestes et des codifications, ce qui subsiste et même dans la migration, au moins pour les premières générations, est une forme de sens de la famille, forme dans laquelle les morts et les vivants sont reliés par un fil de solidarité et de respect. En tant que psychologue, je pense intéressant de noter que l’évolution des psychothérapies, celles relevant au moins de la psychanalyse, tend progressivement à intégrer les liens de filiation dans la constitution même de l’identité psychologique. En ce sens, le culte des ancêtres témoignerait d’une dimension mentale longtemps négligée par la psychologie et qu’elle est peut-être en train de redécouvrir. Enfin une dernière remarque : aujourd’hui dans les sociétés occidentales, la mort et tout ce qui l’entoure sont devenus des produits traités comme n’importe quel produit de consommation. Plus personne ne meurt puisque désormais tout le monde meurt d’une maladie, les rites liés aux obsèques et au deuil se sont dissous, tout au moins en ville, dans des cérémonies en kit présentées et vendues comme des menus de restaurant. Cette manière de voir favorise l'expression des dépressions et des mélancolies car le travail de deuil ne peut correctement s’effectuer, faute de représentations personnelles et sociales possédant une densité de sens. Les migrants nous donnent peut-être l'occasion de re-questionner cette part de nous-mêmes, sachant cependant que leurs représentations ont aussi pour fonction, car nul n'échappe aux illusions, de réduire l'angoisse devant la mort. |