24 juin 2003 Introduction Aujourd'hui, dans le monde occidental, nous nous identifions généralement par un système à deux composants : le nom de famille (ou patronyme) et le prénom. Cette identification nous concerne tellement dans notre intimité, dans le sentiment d'être nous-mêmes, que nous en méconnaissons le plus souvent le caractère arbitraire et relatif. Ce système a pourtant une histoire. A l’usage des Romains qui utilisaient nom, prénom et surnom a succédé un système à un seul nom. Ce nom unique était le plus souvent d’origine germanique avant d’être remplacé par des noms liés à la religion chrétienne. Vers le Xe siècle, à ce nom s'est progressivement ajouté un surnom, le plus souvent associé à une fonction, à un métier, à un lieu ou à une caractéristique individuelle. Dans le haut Moyen Age, ce nom unique évolue en prénom et le surnom en nom patronymique héréditaire. C’est seulement par le Concile de Trente au milieu du XVIe siècle que le pape Paul III demande à ce qu’un nom de saint soit donné au baptême de chaque enfant. Ce système est encore le nôtre même si aujourd’hui l’on peut constater une explosion du nombre des prénoms et la remise en cause de la stricte transmission patrilinéaire. Il s’agit là d’indicateurs qui témoignent d’un profond remaniement des valeurs et des normes de notre société. L'historien n'est pas le seul à nous en rappeler l'aspect relatif. Les migrants d'aujourd'hui, même ceux sans bagages, apportent avec eux, des systèmes différents. Des systèmes que la machinerie administrative tente de rendre conformes à notre format ne brisant pas seulement des systèmes et des arts de transmission mais aussi des conceptions de la personne, de la famille et pour tout dire, des conceptions du monde. Ces questions intéressent les français dits improprement de souche et les migrants eux-mêmes qui souvent, à cause du voile de l'évidence, ne savent pas bien expliquer leurs singularités. Elles intéressent plus encore les enfants dits de seconde génération qui, naviguant entre les systèmes, un nom dans la famille et un autre à l’école, un nom intime et un nom public, s'en sortent parfois enrichis, parfois troublés et quelquefois perdus. Nous nous proposons de décrire plus particulièrement le système de nomination vietnamien, non sans avoir donné un bref aperçu de ceux du Laos et du Cambodge afin d'introduire ce sujet par un regard général sur le Sud-est Asiatique. Il faut cependant savoir que ces pays se qualifient eux-mêmes de pluriethniques. Le Việt Nam par exemple reconnaît officiellement 54 ethnies. Nous n'aborderons ici que les systèmes concernant les Khmer, les Lao et les Việt (ou Kinh), c'est à dire les populations majoritaires de ces pays. Quelques préalables relatifs aux notions techniques utilisées étant nécessaires, ils sont l'objet de la partie suivante. quelques notions relatives à l'anthropologie de la parenté - Seules les notions utilisées dans ces textes seront ici présentées. Les manières de parler à quelqu'un et de quelqu'un à un quelqu'un d'autre sont variables selon les cultures. Pour s'y repérer et pouvoir analyser cela les ethnologues utilisent des notions particulières. Il y a par exemple les termes d'adresse et les termes de référence.
Les termes d'adresse sont ceux que j'utilise lorsque je parle à des parents. Par exemple : papa, tonton, mamie, pépé. Les termes de référence sont ceux que j'utilise lorsque je parle de parents à un tiers. Pour reprendre les mêmes exemples que précédemment : mon père, mon oncle, ma grand-mère, mon grand-père. La terminologie de parenté et/ou système d'appellations est l'ensemble des termes d'adresse et de référence utilisés dans une culture particulière. Il est classique de distinguer entre la terminologie descriptive et la terminologie classificatoire. - La terminologie descriptive, comme son nom l'indique, décrit avec des termes primaires au lieu d'utiliser un signifiant spécifique. Par exemple je dis : le frère de ma mère au lieu de mon oncle ou encore le fils de la soeur de ma mère au lieu de mon cousin. - La terminologie classificatoire nous est peu familière, à nous occidentaux, au point que nombre d'ethnologues du siècle dernier croyaient qu'elle témoignait d'une "simplicité primitive". Pourquoi ? Parce que dans cette terminologie j'appelle par exemple père, tous les frères de mon père ou soeur, toutes mes cousines etc. Il arrive même assez souvent que cette terminologie classificatoire soit utilisée hors de la famille, sous réserve qu'existe une certaine proximité. Par exemple, j'appelle mère, toutes les femmes de la "classe" de ma mère ou frères, non seulement tous mes collatéraux mais tous ceux de ma génération. En réalité, cette simplicité n'est qu'apparente ; il arrive même qu'une culture utilise une terminologie classificatoire alors que son stock de termes de parenté est plus "riche" que telle autre qui ne connaît pas le "classificatoire". Nous allons donner un exemple après la "courte" explication suivante. La langue française nomme cousin n'importe quel cousin, que ce dernier soit du côté de mon père ou du côté de ma mère, qu'il soit croisé ou parallèle. Il en est de même pour oncle. Si je vous dis : mon oncle m'a .., vous ne savez pas réellement de quel oncle il s'agit alors qu'en vietnamien (ou en arabe pour varier les exemples) ce sont des termes différents qui désignent mes oncles ou mes cousins selon qu'ils sont du côté de mon père ou de celui de ma mère. Pourtant (malgré cette richesse) une jeune femme vietnamienne sans lien de parenté avec moi peut m'appeler Chú, oncle du côté du père, dans la mesure où elle a pour moi du respect (différence de générations) et une certaine affection. Dans cet exemple, Chú fonctionne alors comme un terme classificatoire. Dans les précédentes explications, j'aurais pu remplacer du côté de mon père ou de ma mère par patrilatéral ou matrilatéral. Avec les mêmes radicaux mais au niveau de la filiation, on parlera de filiation patrilinéaire, matrilinéaire, bi-linéaire, indifférenciée (bilateral descent en anglais). On dira par exemple que la société marocaine est patrilinéaire car culturellement comme légalement, l'enfant "appartient" à la "ligne" du père, comme dans le Việt Nam traditionnel, inversement la plupart des sociétés kongo, en Afrique, sont matrilinéaires. La filiation française est dite indifférenciée parce que la filiation lui est transmise bilatéralement. En réalité beaucoup de combinaisons sont possibles ; d'une part chacune de ces filiations existent sur tous les continents et d'autre part, dans une même société, disons la française, certaines transmissions sont indifférenciées, l'héritage par exemple alors que d'autres sont patrilinéaires, telle la transmission du patronyme. Si Ego, c'est à dire un individu précis, établit sa filiation, il peut ainsi remonter le long d'une ou de plusieurs chaînes (selon le type de filiation de sa société) composée(s) d'individus qu'il reconnaît comme ses ancêtres. Si un autre que Ego fait la même chose, ils pourront éventuellement considérer au moins un ancêtre commun ; le groupement de toutes les chaînes aboutissant à cet ancêtre est un lignage. Dans les définitions les plus reconnues, on ne parle de lignage que si chacun est à même de retracer les dites relations généalogiques. Ceci est une différence d'avec le Clan qui lui, se définit comme « ensemble d’individus se considérant de manière putative comme descendant d’un même ancêtre. – matriclan : ensemble de personnes (..) en ligne utérine – patriclan : (..) en ligne agnatique. »[note 1] Enfin, dernière précision provisoire, il faut bien distinguer entre un système d'appellation, ce que nous venons de voir, et un système de nomination. Ce dernier rend compte des manières dont les différentes cultures donnent des noms, patronyme, prénom, nom personnel, surnom etc. Bien entendu ces systèmes s'intriquent, parfois fusionnent ou s'excluent ou se complètent. En français lorsque je m'adresse par exemple à mon frère j'utilise généralement son prénom, Pierre, Paul ou Jacques mais il est d'autres systèmes dans lesquels cela ne peut se faire et où par exemple on devra utiliser des termes classificatoires. Le terme Pierre est déterminé par un système de nomination mais il peut être utilisé comme terme d'appellation. Nous verrons dans une autre page que les structures des systèmes d'appellation sont relativement restreintes ou plus exactement, il est possible de les regrouper en types. C'est le cas par exemple de la classification en six types de Murdock. Mais c'est une autre histoire. Nomination au Laos La société laotienne est extrêmement composite. Le groupe Thaï auquel appartiennent les Lao Loum (ou Lao des plaines - environ 55% de la population) est traditionnellement patrilinéaire et place le mythique (?) Khun Bulom comme ancêtre fondateur de leurs royaumes. Avant 1944 et la création de l'état - civil, l'usage d'un patronyme n'existait pas au Laos. Auparavant les gens se nommaient à l'intérieur d'un registre relativement limité. En traduisant il s'agissait par exemple de Rouge, Pierre, Or, Palmier. S'il fallait faire une distinction il était précisé par exemple Rouge père de Palmier. [note 2] Il faut néanmoins compléter cela en ajoutant l'usage d'un autre nom correspondant au rang social ou à l'origine des personnes. Ce dernier peut correspondre à ce qu'en France nous connaissons sous le nom de titre. Ainsi, Sathou pour les princes et les nobles, Thao pour les mandarins ou leurs fils et Chao, Agna, Nang pour les femmes, Nai ou Bak, Sao (pour les femmes) pour les catégories sociales considérées comme inférieures. Ces derniers précisaient aussi leur degré éventuel de participation à la vie religieuse comme Xieng pour ceux qui ont fait des retraites à la pagode ou Thit pour les bonzes. Ainsi d'une manière générale, cet usage possédait une fonction sociologique, il se référait à ce que l'on pourrait nommer une identité sociale. L'obligation du patronyme fut déterminée par le nom de l'ascendant paternel du plus haut degré en 1944. Le nom particulier se place avant le patronyme. Le nombre relativement limité de ces noms a conduit à en ajouter un second voire un troisième pour éviter les ambiguïtés possibles. Mentionnons aussi un usage singulier concernant les enfants mais qui peut perdurer à l'âge adulte. Cet usage que l'on retrouve d'ailleurs dans d'autres parties du monde consiste à donner des noms "péjoratifs" comme Bak Mèn ou Bak Ling signifiant " qui sent mauvais" et "le singe". Ces noms ont avant tout une fonction de protection. Ils visent à éloigner ou plutôt à détourner l'attention et donc la jalousie et la convoitise des mauvais génies. Il existe aussi un art consistant dans une même famille à donner des noms assonancés comme Chouy avec Phouy ou Ouy, Phimpone avec Chansone et Khamtone. Nomination au Cambodge La parenté khmer n'est pas culturellement bien définie, bien sûr relativement à d'autres sociétés. Les termes d'appellation sont réduits et composés essentiellement avec les termes primaires à l'exemple de grand-père, belle-soeur, beau-père etc., en français. On ne s'étonnera donc pas de noter que la famille est pratiquement nucléaire. Si l'on considère les modes de résidence, il y a à peu près autant de maisons que de familles dans un village "standard" et la parenté ne dépasse pas le quatrième degré en ligne collatérale. Cependant les ancêtres peuvent être évoqués jusqu’à la septième génération. Comme pour le Laos, la notion de nom de famille était étrangère à la culture khmer et fut imposée par le Protectorat afin de tenir un état - civil. Jusqu'en 1860 un nom unique, mono-syllabique était l'usage. Dans un certain mouvement d'acculturation quelques uns prirent l'habitude de porter des noms multi-syllabiques. La période khmer rouge réimposa le nom monosyllabique, le prénom et le titre de Meut (camarade). Autrefois, mais très souvent encore aujourd'hui, il était hors de question d'attribuer un nom personnel avant la naissance et il reste très fréquent de changer le nom d'un enfant malade. Ce changement de nom, que l'on connaît aussi ailleurs, a pour fonction de conjurer le malheur et l'infortune. Actuellement on s'identifie par un nom de famille, généralement monosyllabique, transmis de manière patrilinéaire et un prénom qui peut lui, être multi-syllabique. Officiellement le patronyme précède le prénom. Il faut noter que dans l'usage quotidien on utilise éventuellement un titre (monsieur : lok, madame : lok srei, bhan : aîné, pohône : cadet) puis le prénom mais jamais le nom de famille (patronyme). Cela serait un manque de savoir-vivre frôlant le mépris. Anne Guillou rapporte par exemple qu'en 1994 lors d'une visite à Phnom Penh, Simone Veil est devenue Madame Simone. Ceci illustre bien la nécessité de distinguer comme je l'ai évoqué précédemment, la nomination et l'appellation. Ainsi même le prénom ou nom personnel terme qui me paraît préférable à prénom, est dupliqué par un diminutif mais qui est seulement employé par les familiers comme collègues, camarades, voisins etc. La famille et les intimes peuvent en plus, utiliser un surnom. L'imposition du nom personnel (niem khluon), est effectué environ une semaine après la naissance, c'est le rite du Dak chmô. Pour cela un Krou, le gourou indien, peut être consulté mais il revient généralement à la famille de le choisir. Ce dernier use notamment de l'astrologie, nom qui me semble personnellement impropre mais que l'usage par analogie avec notre astrologie a consacré. Comme nous l'avons déjà signalé pour le Laos, il est aussi d'usage de donner durant la petite enfance un nom "répugnant" afin d'écarter les mauvais esprits. Il peut même arriver que Sreï qui habituellement signifie fille soit attribué à un garçon et réciproquement pour Prôh. En cas d'homonymie le nom personnel est suivi par exemple de fils ou fille de …De nombreuses familles pratiquent une nomination de série. Ainsi tous les enfants ont un nom personnel commençant par une même lettre mais si un malheur survient la série doit être interrompue. Il est fréquent que la première lettre soit aussi celle du père pour les garçons et de la mère pour les filles. Cela dit les règles ne sont pas strictes et ma présentation est schématique. J'ai pensé en la faisant à ce qui, dans la migration, souffre du changement. Deux choses me paraissent devoir retenir l'attention des divers spécialistes de l'enfant : l'une est la disparition des conduites de protection de la mère et de l'enfant - ne pas parler de la grossesse - ne rien désirer pour l'enfant avant qu'il soit intégré dans le groupe des humains - isolement après l'accouchement - , l'autre est la modification importante du système de construction de l'identité sociale avec par exemple l'atténuation voire la disparition des cercles d'appartenance. [note 3] Nomination au ViỆt Nam Généralités sur les noms vietnamiens Le Việt Nam dépendant pendant des siècles de l’influence chinoise a développé un système singulier. Ce qui peut sembler un patronyme aux français connaissant quelques noms vietnamiens a été décrit comme une sorte de nom de clan, de lignage. Cette question n’est pas simple mais il est cependant manifeste que les fréquences respectives des noms (họ - rarement tính) vietnamiens et des patronymes français démontrent qu’ils ne relèvent pas d’une structure originelle identique. Le lecteur non familier de la langue vietnamienne doit savoir que celle-ci est monosyllabique et tonale. Ainsi le même mot, comme une note de musique, prononcé avec des tons différents renvoie à des sens différents. L’écriture dite quốc ngữ créée avec des caractères latins exprime cette particularité avec un système d’accents et de signes que nous respecterons au mieux dans ce texte. Le tableau suivant montre les họ les plus usités à différentes périodes et différentes régions. 12 Họ représentant 85% de la population de la province de Bắc Ninh (1930-1940) | Ecoliers Đà Nẵng (1995) | Nguyễn | 阮 | Nguyễn | Trần | 陳 | Trần | Lê | 黎 | Lê | Phạm | 范 | Hoàng | Vũ | 武 | Phan - 潘 | Ngô | 吳 | Phạm | Đỗ | 杜 | Vũ | Hoàng | 黄 | Trương -張 | Đào | 陶 | Hồ - 胡 | Đặng | 鄧 | | Dương | 楊 | | Đinh | 丁 | | Sources : Voir respectivement les notes n°4 et n°5 dans les références Situation de ces 12 họ en termes d’abonnés au téléphone, en Gironde, France, 2002 | | Nguyen - Nguyên (Nguyễn) | 238 | 43% | Tran (Trần) | 69 | 12,5% | Pham (Phạm), Do (Đỗ), Bui (Bùi), Dang (Đặng), Dinh (Đinh), Dao (Đào) | 20 <…> 30 = 146 | 3% <…> et 5% | Lê, Phan, Vu (Vũ), Hoàng, Truong (Trương), Duong (Dương),Ngô | 10 <…> 20 =103 | ~ 2 / 3% chacun | | Total = 556 | | Source personnelle constituée avec un bottin électronique En considérant toutes les régions du Việt Nam, on répertorie environ 300 noms, quelques uns de ces noms peuvent être doubles. Ils sont alors marqués par un trait d'union. Nguyễn, à lui seul, représente entre 50 et 60% des familles. Les patronymes français sont quant à eux évalués entre 450.000 et 500.000 mais si on fait la somme de ces patronymes sur 2 siècles et en tenant compte des migrations, on connaît environ 1.300.000 patronymes. Il va s’en dire que leurs fréquences statistiques sont très inégales. Si l’on s’en tient aux quarante dernières années, Martin, Bernard, Thomas, Robert, Petit et Dubois sont les plus répandus. Les Martin sont nettement les plus représentés. A eux seuls, ils ont assuré 65000 naissances contre 33000 pour les Bernard. Contrairement à une idée bien répandue les Dupont sont seulement au 22e rang avec seulement 18000 naissances. Bien entendu les Nguyễn sont très loin mais ils ont quand même assuré 5500 naissances depuis 1966. Il faut ici insister pour noter que l'usage de ces họ en situation migratoire est radicalement différent. En effet, ils deviennent des patronymes "classiques" et sont alors utilisés dans l'appellation quotidienne. Cette pratique, banale en France, n'est pas convenable au Việt Nam, non seulement pour des raisons de bienséance mais aussi parce que les personnes ne se reconnaissent pas elles-mêmes dans cette appellation. Le célèbre homme de lettres, M. Hữu Ngọc, raconte une histoire qui illustre cela : " A une conférence internationale, le Président, un Japonais, s'est adressé à M. Nguyễn Hữu Phu, Vietnamien, en l'appelant par son nom de famille : "Mr Nguyễn". M. Phu n'a même pas bougé, ne se croyant pas interpellé, sûr que Mr Nguyễn était une autre personne."[note 6] La question du patronyme Autrefois, comme en Chine, il était d'usage de changer de noms (pas seulement le họ) selon les périodes de la vie et/ou des évènements particuliers. Le Vietnamien le plus connu à notre époque est sans aucun doute Hồ Chí Minh mais tout le monde ne sait pas qu’à sa naissance Bác Hồ (Oncle Ho) se nommait Nguyễn Sinh Cung. Vers l’âge de10 ans, il devint Nguyễn Tất Thành. Plus tard encore, il prit le « nom de guerre » de Nguyễn Ái Quốc avant de devenir Hồ Chí Minh dans les années trente, nom que l’on peut écrire 胡志明 en chữ hán, écriture chinoise. Ainsi, après la question des fréquences des noms, nous allons nous attarder sur la composition de ceux-ci. Soulignons d'abord que cette structure ternaire n’est pas exclusive et que de nombreuses nominations y échappent. Par exemple le patronyme (họ) peut être double, le nom intercalaire (chữ đệm) peut être absent et le nom personnel (tên) peut être double. Les họ et les tên doubles sont quelquefois liés par un trait d’union. Composition classique des noms vietnamiens | | Noms des différents composants | HỌ (rarement TÍNH) | CHỮ LÓT ou CHỮ ĐỆM | TÊN [7] | | Nguyễn | Văn | Huyên | | Trần | Thị | Yến | Deux exemples, masculin et féminin, de noms composés classiquement Họ et tính (très peu usité) sont généralement considérés comme synonymes mais ils sont bien distincts en caractères nôm. Celui de họ renvoie à une porte qu’il faut entendre comme une métonymie de la maison, c'est-à-dire du foyer, du lieu où réside la famille, gia ou nhà. Dans la mesure où l’on trouve fréquemment l’expression tên họ tộc, il est utile de savoir que tộc possède un sens plus large que celui de famille. Son expression en caractère nôm rend cela manifeste : on y reconnaît le signe d’une flèche sous celui d’une bannière. Ce caractère toujours utilisé en chinois avec le morphème zù renvoie encore à clan, race, groupe etc. à l’image d’un ensemble de personnes, d’alliés réunis sous le même drapeau. Notons aussi comme Philippe Langlet me l’a signalé que toutes ces appellations peuvent varier d’une région à l’autre. Ainsi « dans le Sud, on dit volontiers chính danh pour họ, danh étant un terme sino-vietnamien pour tên. ».[8] chữ nôm | | quốc ngữ | | pinyin | | composition des caractères | | traductions usuelles | hù | | porte g foyer anc. 戶 / mod. 户 | họ | lignage - patronyme - clan | míng | | soir sur une bouche | danh | nom g réputation | xìng | | femme + naître | tính | patronyme | zú | | flèche sous un drapeau | tộc | lignage - clan | jiā | | cochon sous un toit | gia | maison (nhà) g famille | zōng | | autel sous un toit | tông | ancêtre fondateur g lignage | Quelques-uns des termes liés à "nom de famille". Les correspondances en pinyin peuvent aider à la recherche. | Les caractères et les mots indiqués de ce tableau paraissent suggérer que toutes ces « familles » distinguent entre la famille au sens commun, celle qui habite dans une maison et qui, de toutes façons est conçue comme élargie ou étendue avec plusieurs générations et la famille au sens de clan, d'alliés, de lignage sous tendu par le culte des ancêtres. D'ailleurs, bien qu'ils ne soient pas représentés ici, les caractères pour ancêtre en chinois (zǔ) et en caractère nôm (tổ) renvoient aussi à la filiation : grands-pères, aïeux. Nous mesurons mal en Occident la notion d'identité (familiale et personnelle) dans les cultures où se vivent et se pratiquent ce que la tradition intellectuelle a, peut-être malheureusement, nommé culte des ancêtres.[9] Les noms intercalaires La question des noms intercalaires, chữ lót (doubler)ou chữ đệm (intercaler, matelasser), est semble-t-il spécifique à la culture vietnamienne. Ils ne sont pas traditionnellement obligatoires mais 90% des noms en comportaient au XIXe siècle. Ils étaient extrêmement restreints puisque l’immense majorité des hommes se nommaient Văn alors que la quasi-totalité des femmes se nommaient Thị - 氏 -. Au Việt Nam, à l’heure actuelle, leur diversité est croissante alors que dans le même temps les migrants vietnamiens tendent progressivement à les supprimer et/ou à les « coller » directement ou par un trait d’union au họ patronymique. Les tableaux ci-dessous illustrent ces commentaires pour les noms intermédiaires masculins. Cochinchine - 1836 | Période contemporaine | Habitants de Mông Phụ | Ecoliers Đà Nẵng (1995) | Văn 89,5% | Văn 67,90% | Minh 6,04% | Công 2,61% | Ngọc 3,71% | Văn 5,96% | | Tiến / Tấn 2,03% | Quốc 5,40% | | Đức 1,79% | Ngọc 4,91% | | Minh 1,55% | Thanh 4,67% | Cliquez ici pour les sources | Les noms intercalaires pouvaient, et semblent porter de plus en plus, quelque chose de l’ordre des souhaits des parents quant aux destins de leurs enfants mais leurs choix sont aussi déterminés par un souci esthétique pouvant être relié au sens du nom personnel, tên. Le passage de l’écriture nôm au quốc ngữ a pu faire disparaître des particularités manifestes. Ainsi il est devenu commun de comprendre et de traduire le nom intercalaire Văn par littérature alors que les caractères nôm en distinguait deux renvoyant à des signifiés différents (tableau ci-dessous). chữ nôm | quốc ngữ | | | Văn | littérature - culture | | Văn | entendre - comprendre | Cet exemple n’est pas exceptionnel : Krowolski et Nguyễn Tùng présentent un tableau (voir note 3 : 295) associant 19 caractères nôm pour le seul morphème Linh et donc, 19 sens différents. Comme pour l'étude de la fréquence des "patronymes" vietnamiens en France, j'ai analysé le devenir des noms intercalaires sur le seul họ de Nguyen à partir de l’annuaire téléphonique (2005) dans trois grandes villes françaises. Le nombre de variables est trop important pour interpréter ces données d’une manière réellement fiable, il faut n’y voir qu’une indication de tendances. Les déformations du Nguyễn « originel » sont incluses dans ces données : Nguyen, Nguyên, N’guyen, Nguyem, etc. Les résultats sont observables dans le tableau ci-dessous. Conservation classique = 35% | Disparition partielle (par ex. intercalaire devenant prénom ou associé à nom..) = 19% | Disparition totale = 54% | Les chiffres précédents ne présument pas que leurs détenteurs perçoivent la structure de leur nom comme le ferait un Vietnamien du Việt Nam mais inversement, il est vraisemblable que certains d’entre eux connaissent encore leur nom intercalaire sans que celui-ci n’apparaisse officiellement. Il en est souvent ainsi pour le prénom [tên] remplacé par un prénom français à l’extérieur de la famille. Le nom personnel Le troisième de ces noms, tên, souvent tên tục au Centre du pays, était appelé post-nom par les premiers auteurs. Aujourd’hui on parle plus volontiers de nom privé ou de nom personnel. Les traductions de ces noms personnels montreraient que la tendance traditionnelle attribue des vertus abstraites aux hommes et des noms de fleuves, d'arbres, de choses précieuses aux femmes Il faut noter que ce nom personnel, lorsqu’il est conservé dans la migration, devient le prénom français. Il sert donc alors à être appelé, c’est par lui que l’on s’adresse aux personnes. Cela représente un profond changement car dans la culture vietnamienne l’appellation se distingue de la nomination. C’est l’âge, la position dans la famille, le rang social, qui déterminent préférentiellement la manière dont on s’adresse à quelqu’un ; ainsi on ne va pas nécessairement s’adresser à quelqu’un par son nom personnel mais par des termes classificatoires comme oncle, frère aîné n°2, petit frère n°5 etc. Pour approfondir cette question, le lecteur se reportera à la page Le moi de l'enfant vietnamien, influence de la culture de Monsieur D. Long. (nouvelle fenêtre) Il faut savoir qu’autrefois un nom personnel ne pouvait être donné avant l’âge de un ou deux ans. Jusque là, les enfants pouvaient avoir un nom familier, un sobriquet, nom le plus souvent utilisé pour protéger l’enfant des maladies, des mauvais génies et autres influences néfastes. Ces noms se devaient donc d’être repoussants, vulgaires, c'est-à-dire d’avoir comme fonction de ne pas attirer les mauvaises intentions, les envies et les jalousies. En voici quelques exemples : Cu (verge), Hĩm (vagin), Chí (pou), Cóc (grenouille), Đĩ (prostituée), Bùn (boue) etc. Cette pratique peut paraître étonnante aux yeux d’un Français mais il faut savoir qu’elle est extrêmement répandue sur tous les continents. Pour toutes ces raisons le nom personnel pouvait être tên húy (nom interdit) ou tên hèm (nom tabou). Aujourd’hui ces conceptions ont moins d’importance mais au Việt Nam, comme en France depuis quelques années, les gens pensent volontiers que le choix du nom personnel influence le destin de celui ou de celle qui le porte. Les noms personnels ne possèdent pas de genre comme la plupart des prénoms français mais leurs distributions sont différentes selon les sexes. Parmi les noms personnels féminins les plus utilisés actuellement au Việt Nam, nous avons noté un peu au hasard : Hồng (rouge- rose), Anh (la plus belle fleur), Lan (orchidée), Châu (perle), Loan (phénix), Vân (nuage), Xuân (printemps), Ngọc (jade) etc. Voici quelques uns des noms personnels masculins les plus utilisés : Quang (lumière), Minh (clarté), Hưng (prospérité), Hùng (puissant), Sơn (montagne), Trung (fidélité), Huy (splendeur) etc. Ajoutons qu’à coté de ces trois noms peuvent aussi exister des noms familiers, tên tục, des noms symboliques, tên hiệu, des noms littéraires, tên tự, des pseudonymes, bí danh, des sobriquets, biệt danh etc. et même un nom posthume, tên thụy. Il y aurait beaucoup de choses à rajouter sur les manières de donner un nom, sur les pratiques de changement de nom, sur les manières de composer les noms personnels d’une fratrie ou sur la transmission mais j’en viens à une conclusion provisoire sur les incidences interculturelles. Le devenir des noms dans la migration Le patronyme reste le seul élément stable mais il est traité alors comme les patronymes français, c'est-à-dire comme une référence au nom du père et non comme une référence à un lignage réel ou mythique actualisé au Việt Nam dans le culte des ancêtres. A notre avis dans la situation migratoire le système de nomination traditionnel et le culte des ancêtres sont dans une relation d’interdépendance étroite ; l’absence de l’un implique la disparition de l’autre. Cependant ce culte peut se satisfaire de l'environnement occidental, il peut même s’adapter au monde qualifié des affaires si l'on en juge par la pratique répandue "d'autels familiaux portatifs". Les noms intercalaires, et cela va dans le sens opposé à ce qui a l’air de se dessiner au Việt Nam, diminuent progressivement. Le nom personnel est manifestement le premier à disparaître et à être remplacé par un prénom occidental. On constate cependant que beaucoup de familles utilisent, au moins jusqu’à la seconde génération, une pluralité de codes, avec par exemple un nom dans la famille et un nom public. La recherche sur l’annuaire téléphonique est très instructive ; elle révèle les évolutions, les compromis, les aménagements, les disparitions pures et simples. Cela étant dit, devant l’évolution du système de nomination français qui évolue dans le sens d’une plus grande « souplesse » dans la transmission, il n’est pas impensable d’imaginer une continuité voire un retour possible du système de nomination vietnamien. D’une certaine manière, ce colloque en témoigne, les jeunes générations sont aussi curieuses et attentives à la culture de leurs ancêtres : Quả rụng về cội, le fruit tombe au pied de l’arbre. | |
Notes et références [note 1] La revue d’anthropologie L’Homme, n°154-155, d’avril-septembre 2000, consacrée à la question de la parenté propose un glossaire (p.721 et suiv.) auquel le lecteur peut se reporter. S'il désire aller plus loin, il pourra lire : Ghasarian Christian, Introduction à l'étude de la parenté, Paris, Seuil, 1996. Sur Internet, vous pouvez utilisez le tutoriel Kinship and Social Organization de Brian Schwimmer de l'University of Manitoba. Vous pourrez vous exercer à reconnaître cousins croisés et parallèles, les systèmes Soudanais, Crow, Omaha etc. Bien sûr ce site est en anglais mais les connaissances scolaires "habituelles" permettent généralement de le comprendre. - retour - [note 2] Deydier Henri, Introduction à la connaissance du Laos, Ecole Française d'Extrême Orient, (année ? - mon exemplaire ne possède aucune date) Sur Internet, vous trouverez une mine d'information à : http://www.refer.org/laos_ct/tur/tur.htm . Sur le même site, vous pourrez aussi accéder à la partie Cambodge. - retour - [note 3] Voir le très bon article de Anne Y. Guillou, intitulé Noms personnels et termes d'adresse au Cambodge, p. 245 et suiv., dans le devenu incontournable : Massard-Vincent Josiane, Pauwels Simonne, D'un nom à l'autre en Asie du Sud-Est, Paris, Khartala, 1999 - retour - [note 4] Les différents tableaux de l'ensemble des pages consacrées à la nomination sont un "mélange" de données personnelles, de données issues de divers articles et des travaux suivants : [note 5] -Gourou Pierre, Les noms de famille ou họ chez les Annamites du delta tonkinois, Bulletin EFEO, XXXII, 2 : 481-495 - Chapuis A., Les noms annamites, dans Bulletin des Amis du Vieux Hué, 1942, I : 55-104 et de l'article que nous estimons être le meilleur sur ce sujet : - Noms et appellations au Việt Nam, de Krowolski Nelly, Nguyễn Tùng, dans l'ouvrage cité plus haut, Note 3. Ce travail est aux pages : 275-318 - retour - [note 6] Monsieur Hữu Ngọc dont nous avons eu le bonheur de partager l'hospitalité familiale à Hà Nội est l'auteur d'une multitude d'articles et d'ouvrages que l'on croise nécessairement si l'on s'intéresse à la culture vietnamienne. L'extrait cité est dans : Esquisses pour un portrait de la culture vietnamienne, éditions Thế Giới, 1997, p.126 Le lecteur francophone désireux de connaître un peu de l'âme du Việt Nam pourra consulter Mille ans de littérature vietnamienne (anthologie), Arles, éditions Philippe Picquier, 1996, ouvrage dirigé par Nguyễn Khắc Viện et Hữu Ngọc. - retour - [note 7] Comme le mot "nom" en français, le mot "tên" peut se définir à plusieurs niveaux : [note 8] Un mot sino-vietnamien est un mot chinois (d'origine) prononcé à la vietnamienne. - retour - [note 9] Quelques personnes m'ont envoyé des courriels pour se plaindre de cette idée. Je me suis peut-être mal exprimé mais, pour le dire brutalement, elles n'ont pas compris le sens de cette remarque. Qu'on le veuille ou non, la notion de culte dans nos sociétés européennes est associée à un certain "monde transcendant". Je ne pense pas que le culte des ancêtres relève de la même transcendance, il s'agit d'autre chose. Il n'est pas rare, j'en connais, de rencontrer des Vietnamiens se disant athées, agnostiques, critiquant les religions comme des superstitions ou des archaïsmes mais ne remettant pas en cause la piété filiale (hiếu) et les pratiques qui y sont liées. Il n'est pas nécessaire de faire entrer de force les croyances des autres dans nos "patterns culturels". - retour - [note 10] Mông Phụ est un village du delta du fleuve Rouge. Sous ce titre précisément est un livre passionnant édité par Nguyễn Tùng chez L'harmattan, coll. recherches Asiatiques, 1999. Les différents tableaux de l'ensemble des pages consacrées à la nomination sont un "mélange" de données personnelles, de données issues de divers articles et des travaux suivants : -Gourou Pierre, Les noms de famille ou họ chez les Annamites du delta tonkinois, Bulletin EFEO, XXXII, 2 : 481-495 - Chapuis A., Les noms annamites, dans Bulletin des Amis du Vieux Hué, 1942, I : 55-104 et de l'article que nous estimons être le meilleur sur ce sujet : - Noms et appellations au Việt Nam, de Krowolski Nelly, Nguyễn Tùng, dans Massard-Vincent Josiane, Pauwels Simonne, D'un nom à l'autre en Asie du Sud-Est, Paris, Khartala, 1999. Ce travail est aux pages : 275-318 - retour -
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