Syndromes Propres à une CultureLa notion de syndrome propre à une culture donnée, culture-bound syndrome en anglais, est définie dans le DSM IV comme « la survenue répétée de schémas de comportements aberrants et d’expériences perturbantes spécifiques d’une région et pouvant être liée ou non à une catégorie diagnostique.». Cette définition apparemment claire n’est pourtant pas sans poser de nombreux problèmes théoriques et pratiques. Par exemple, certains « entités » répertoriées comme syndromes propres à une culture (SPC) n’appartiennent pas au champ de la maladie, ni même du désordre, aux yeux des autochtones et inversement. Il est donc utile de se munir d'une grille de lecture de ces syndromes qui en permette une analyse raisonnée. grille de lecture : sept catégoriesAinsi plusieurs catégories sont classiquement repérées : 1 - Une pathologie mentale non attribuable à une cause organique, localement reconnue comme pathologique mais ne correspondant pas à une catégorie nosographique occidentale, par exemple l’amok. 2 - Une pathologie mentale non attribuable à une cause organique, localement reconnue comme pathologique et correspondant (ou identifiable) à une catégorie nosographique occidentale, par exemple le shenjing shaijo chinois ou le taijin kyufusho japonais 対人恐怖症(たいじんきょうふしょう) identifiable comme dépression majeure et phobie sociale mais avec des formes symptomatiques singulières. 3 - Une pathologie non (encore) reconnue par la médecine occidentale. Ce fut le cas du kuru touchant des tribus de Nouvelle-Guinée consommant de la chair humaine. Cette pathologie a conduit Gajdusek à l’étude des maladies neurodégénératives par "infection lente"pour laquelle lui a été décerné en 1976 le prix Nobel de médecine, études se poursuivant actuellement autour des prions et des encéphalopathies spongiformes. 4 - Une maladie qui peut avoir ou pas une cause organique, qui peut correspondre à des symptômes reconnus en Occident mais pas nécessairement élaborée et perçue culturellement comme une maladie à part entière. C’est le cas du koro d’Asie. 5 - Une trouble dont les explications culturelles ne sont pas reconnues par la science occidentale. C’est le cas de ceux dans lesquels les populations locales évoquent la sorcellerie, la magie, le mauvais œil etc. 6 - Un comportement ou état pouvant être reconnus comme pathologiques en Occident mais pas dans la perception locale. C’est le cas des transes, communications diverses avec des " esprits ", perte d’âme etc. 7 - Un trouble attendu dans un contexte culturel et qui a pu être mentionné par les autochtones aux anthropologues mais dont l’existence n’est pas avérée. Ce pourrait être le cas du windigo des Algonquins du Canada. une clé : la notion d'intentionnalitéLes divergences entre la conception occidentale d’une science médicale et d’autres conceptions qualifiées de traditionnelles se réduisent en réalité à une certaine combinatoire de deux groupes de variables. Il faut cependant considérer le tableau suivant comme schématique. En effet, certaines conceptions se situent à des intersections : c'est le cas par exemple de la médecine psychosomatique. On remarquera aussi que seules les conceptions dites improprement traditionnelles envisagent des influences externes dotées d'intentionnalité. La psychanalyse est quant à elle la seule théorie qui y répond de manière asymétrique par l'inconscient. Il est intéressant de noter qu'une importante critique de Jean Paul Sartre à l'égard de la notion d'inconscient freudien portait précisément sur l'articulation avec la notion d'intention. | Représentations de Causalités | Représentations d'Effets | | Conceptions "traditionnelles" | organique | maladie | mentale | maladie | sorcellerie - magie | maladie | non-maladie | Monde invisible (..dieux, esprits, ancêtres..) | maladie | non-maladie | Conceptions " médicales " | mentale | maladie | organique | maladie |
quelques commentaires- Ce tableau est lui-même dépendant de variables culturelles, ne serait-ce que linguistiques. Par exemple les distinctions anglaises entre disease, illness, sickness ou encore entre sorcery et wichtcraft rendraient le tableau plus complexe. - Les catégories mêmes de mental et d'organique sont discutables car des subdivisions culturelles peuvent exister et les limites qui les contiennent peuvent êtres fluctuantes. - Le lieu des discours n’est pas réellement pertinent. Des étiologies traditionnelles sont aussi évoquées en Occident et cela même par des professionnels patentés (médecines dites parallèles, douces etc.). Inversement, des aires culturelles non-occidentales se réfèrent traditionnellement à des savoirs du même ordre que ceux de la science occidentale. - L’anthropologie médicale est une discipline récente. Il nous semble qu’au-delà des écoles qui la composent ses premiers effets sont d’avoir généré une démarche épistémologique remettant en cause des représentations jusque-là " indiscutées ". Et, mouvement que l’ethnologie avait déjà accompli dans d'autres secteurs, l’anthropologie médicale paraît abandonner une forme d’idéologie évolutionniste. - Cela nous amène à penser qu'il est certainement utile de considérer les catégories décrites à la page suivante à la manière de Devereux : "Si les ethnologues dressaient l'inventaire exhaustif de tous les types connus de comportement culturel, cette liste coïnciderait point par point avec une liste également complète des pulsions, désirs, fantasmes, etc., obtenue par les psychanalystes en milieu clinique, démontrant par là simultanément, et par des moyens identiques, l'unité psychique de l'humanité et la validité des interprétations psychanalytiques de la culture..." Ethnopsychanalyse complémentariste, p.79
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