Modèles interculturels infirmiers Prendre soin des dimensions culturelles dans l’expression et le contenu des discours des patients nécessite une connaissance à minima des représentations culturelles ou par défaut de prêter une attention aux déclinaisons possibles de la Culture en soi. Il y a déjà longtemps que les professionnels des soins infirmiers ont élaboré des questionnaires et des modèles spécifiques à l'observation et au recueil des dimensions culturelles. Il ne s’agit pas de sous-estimer leurs mérites qui sont importants et témoignent sans aucun doute des préoccupations humaines et pragmatiques de ces soignants en lien direct, et surtout permanent, avec les malades. Ces préoccupations sont aujourd'hui présentes dans l'espace européen mais il faut bien constater que les principaux modèles ont été conçus dans des pays anglo-saxons. Ils l'ont été le plus souvent dans le cadre des soins généraux, notamment en situation hospitalière. A les regarder de près, ces modèles ont la particularité d’être inscrits dans une sorte de filiation culturaliste ou pour le moins de considérer la Culture comme un milieu à l’intérieur duquel nous serions immergés. Connaître ce milieu aurait donc l'intérêt de mieux comprendre les conduites et les représentations des patients devant la maladie et le soin. Modèle du lever de soleil de Madeleine LeiningerIl en est ainsi du Modèle du Lever de Soleil (Sunrise Model) de Madeleine Leininger (2002) de l’Université de Washington. Cette dernière, parfois appelée la « Margaret Mead of nursing », peut être considérée comme la fondatrice de l’approche infirmière transculturelle, discipline qu’elle introduisit dès 1974, après dit-on, un voyage « révélateur » en Nouvelle-Guinée. Ce modèle (voir schéma ci-dessous) est ainsi nommé en raison de sa représentation en un demi-cercle subdivisé par des rayons en sept groupes de facteurs. On retrouve par exemple les facteurs d’organisations politiques, les facteurs de parenté et des relations sociales, les facteurs des valeurs culturelles, ceux des technologies, ceux des connaissances propres à la santé et aux soins etc. La conception et la théorisation de ce modèle sont beaucoup plus approfondies que le seul schéma car Madeleine Leininger tient compte de niveaux différents (personnel - familial - société etc.) et des interactions entre ces niveaux. Il s’agit en résumé d’une sorte de grille raisonnée de recueils de données visant à appréhender les représentations et les comportements culturels, et ceci, avec l’objectif d’une intervention la plus favorable aux attentes et aux valeurs des patients.  |
Modèle transculturel de Purnell Des intentions comparables sont aussi à l’origine du Modèle Transculturel de Purnell (2003). Le lecteur français en trouvera une excellente présentation dans un article de Ginette Coutu-Wakulczyk (2003) paru dans la revue Recherche en soins infirmiers. Le modèle de Purnell propose l’établissement du bilan ethno-culturel d’un individu, d’une famille ou d’un groupe à partir de 12 domaines qui sont : 1- Sommaire, localité habitée et topographie | 2- Communication | 3- Rôles et organisation de la famille | 4- Les questions relatives à la main d’œuvre | 5- Écologie bio-culturelle | 6- Comportements à risques élevés pour la santé | 7- Nutrition | 8- Pratiques durant la grossesse et la gestation | 9- Rituels mortuaires | 10- Spiritualité | 11- Pratiques de soins de santé | 12- Pratiques des intervenants de la santé |
Chacun de ces domaines se décompose en unités plus précises. Par exemple, le domaine n°11, Pratiques de soins de santé contient : - Croyances et comportements à l’égard de la santé | - Réponses culturelles à la santé et à la maladie | - Pratiques traditionnelles (folkloriques) | - Barrière aux soins | - Responsabilité pour les soins | - Transfusion de sang et don d’organe |
Chaque domaine doit être analysé de quatre points de vue : celui de la personne, celui de la famille, celui de la communauté et celui de la société globale. Il faut encore distinguer entre les incompétences conscientes et inconscientes, les compétences conscientes et inconscientes. Le modèle de Purnell nous paraît plus sensible et plus complet que celui de Madeleine Leininger ou que celui de la grille de recueil de données de Joyce Newman Giger et de Ruth Elaine Davidhizar (1991) relativement connue en France par le seul livre traduit en ce domaine, Soins Infirmiers Interculturels. Pour ces derniers auteurs, six phénomènes culturels constituent l’ossature méthodologique de leur démarche : - la communication | - le temps | - l'espace | - le contrôle de l'environnement | - la communication sociale | - les variations biologiques |
CommentaireAu-delà de leurs différences dans les choix de domaines, de facteurs ou d’items, tous ces modèles pourraient s’inscrire dans le prolongement des plans d’étude initiés par Marcel Mauss dans ses cours des années 26 - 38, cours réunis dans son Manuel d’ethnographie paru en 1947, ou dans le titanesque Outline of Cultural Materials [1] développé dans les mêmes années par l’anthropologue américain George Murdock. Il y a néanmoins une différence majeure, celle de l'attention portée aux « compétences culturelles ». La notion de compétence culturelle a littéralement envahi l'ensemble des secteurs de rencontres interculturelles : éducation, santé, relations internationales (de l'industrie au commerce), formation, management etc. Il en existe d'ailleurs une variante, celle de compétence interculturelle. Si l'on synthétise un ensemble de travaux, surtout anglo-saxons, la compétence culturelle se comprend comme la capacité d’interagir efficacement avec des personnes de différentes cultures et de différents milieux socioéconomiques. Cette compétence serait la conjonction de : une conscience de sa propre vision du monde, une attitude particulière à l'égard des différences culturelles, un savoir sur les différentes pratiques et conceptions des cultures, une aptitude à communiquer interculturellement.
En France, pour toutes ces questions on peut se référer aux travaux de Martine Abdallah-Pretceille. Même si leur origine se situe dans le champ de l'éducation, leur valeur et leur qualité s'étendent bien au-delà. Voir bibliographie. Chacun à leur manière, tous ces modèles renvoient à une forme de cette compétence et demandent un « engagement » du soignant afin de prendre conscience de sa propre altérité mais cette dimension est relativement secondaire par rapport au corpus d’éléments culturels attendus. Il ne fait cependant aucun doute que leur intérêt principal est de contribuer à la « création d’une zone d’intercompréhension » selon la belle expression d’une spécialiste en psychologie interculturelle, la genevoise Christiane Perregaux (1994). Ces modèles ont été élaborés à partir d’une pratique des soins généraux et si nous en partageons le souci thérapeutique, notre position psychologique nous en fait prendre une relative distance. En effet, si d’une manière ou d’une autre l’une des étapes de notre propre démarche est constituée par le « recueil » de représentations culturelles, notre propre expérience et nos références théoriques nous ont cependant amenés à reconsidérer les relations Culture – Individu d’un autre point de vue. C'est là l'origine de la création du modèle de l'éventail. Patrick Fermi - printemps 2013 |