Préliminaires. Premier constat. Les approches culturelles, qu'elles soient inter, trans, méta, ethnopsy... etc., suscitent des débats souvent très polémiques. Dans ces débats les questions techniques ne sont pas nécessairement au premier plan. Il s'agit le plus souvent d'arguments provenant de positions idéologiques et politiques généralement implicites voire, dans les pires des cas , de mouvements passionnels qu'aucune analyse préalable n'a justifiés. Il existe des "opposants" à l'ethnopsy.. se justifiant de positions épistémologiques et considérant que les approches spécifiques relèvent du "culturalisme", terme qu'ils conçoivent bien sûr comme péjoratif. [Réf.1] Deuxième constat. Les formes de ces débats sont intimement liées aux types de sociétés dans lesquelles ils ont lieu et cela, dans une relative indépendance d'avec les positions politiques classiques. Les pays dits anglo-saxons, africains, asiatiques, européens n'ont pas "spontanément" les mêmes attitudes globales devant le multiculturalisme. Cela étant dit, force est de constater que les régimes autoritaires sur tous les continents ont en commun d'être excédés par les minorités, que celles-ci soient "ethniques", religieuses, philosophiques, voire sexuelles. Troisième constat. Pour s'en tenir à la France, les débats sont particulièrement marqués par le fait colonial, que ce soit dans une culpabilité collective rarement avouée ou dans une nostalgie moins collective mais quelquefois exprimée. Ils sont aussi marqués par une pensée universaliste dont une des vertus fut de reconnaître l'Humain jusqu'au bout du monde et des classes sociales mais dont un des défauts fut et reste encore de considérer comme Vérité ses conceptions du moment. Quatrième constat. La question du multiculturalisme est aujourd'hui en débat.[1] Le Conseil d'Etat vient de déclarer anticonstitutionnelle l'essentiel de la Charte Européenne concernant les langues régionales et/ou de certains groupes dit minoritaires. Il y a quelques mois le Ministre de l'Intérieur déclarait dans le journal Le Monde que l'intégration devait prendre en compte les origines culturelles des populations migrantes. Il est problématique d'être respectueux des cultures, de promouvoir le régionalisme et en même temps de déclarer menaçantes pour l'unité de la République l'officialisation des langues dites régionales. [2] Psychanalyse. La cure psychanalytique standard se définit comme une relation duelle dans un cadre spatio-temporel organisé avec une durée et une fréquence des séances, par l'usage d'un divan sur lequel s'allonge l'analysant (dit autrefois analysé) et derrière lequel se tient l'analyste. Ce dernier propose initialement au sujet la règle fondamentale, celle de la libre-association. A cette situation classique se sont ajoutés très tôt des aménagements du cadre dus pour l'essentiel aux caractéristiques psychologiques de certains patients. Ainsi la relation en face à face a pu être proposée à des personnes dont la pathologie ou l'organisation psychique ne pouvaient s'accommoder à ce contexte singulier. On a alors parlé de psychothérapies d'inspiration psychanalytique pour qualifier les pratiques aménagées de la cure type. Au-delà de la cure, l'approche psychanalytique s'est aussi étendue à des modes d'interventions particuliers auprès d'enfants ou de groupes. Il existe par exemple des thérapies par le jeu et du psychodrame psychanalytique. Pour en savoir plus vous pouvez consulter cette page de la Société Psychanalytique de Paris. Beaucoup de personnes migrantes ne peuvent pas s'accommoder facilement au cadre psychanalytique. C'est notamment le cas de ceux qui ne parlent pas la langue de l'analyste et/ou qui se référent à des représentations culturelles qui ne sont pas familières au thérapeute. Notre approche ne concerne évidemment pas les personnes migrantes ou d'origine étrangère qui, pour des raisons personnelles ou des compétences particulières du psychothérapeute, peuvent bénéficier d'une psychanalyse classique.[3] Immigration. Les travaux historiques, sociologiques ou les rapports de l'INSEE [4] montrent à l'évidence que la majorité des populations migrantes ne bénéficie pas d'un accès aux soins comparable à celui de la population française "moyenne". Il est aussi manifeste d'un point de vue sociologique que la clientèle des psychanalystes n'est pas une population "tout-venante". Au nom d'un Sujet prétendument universel détaché des contingences culturelles, linguistiques, sociales, historiques, économiques, certains rejettent toute approche spécifique. Dernièrement, j'ai entendu, dans un congrès dont le thème avait à voir avec les cultures, un orateur expliquer que les étrangers devaient être libres de récolter çà et là les signifiants culturels comme une ménagère remplit son panier de ce dont elle a besoin ou envie. Au-delà de l'image qui assimile signifiants et objets de consommation, l'idée est apparemment généreuse mais elle fonctionne en méconnaissant la réalité des foyers de travailleurs étrangers, l'isolement culturel de certaines familles dont souvent la mère ne connaît pas cent mots de français vingt ans après son arrivée ou l'angoisse quotidienne de certains réfugiés qui n'osent même pas se promener de peur d'être contrôlés. Quels signifiants vont-t-ils s'approprier ? En France, l'immigration n'est pas un fait nouveau mais elle n'est pas non plus un phénomène uniforme. Essentiellement européenne jusqu'aux années cinquante, elle s'est étendue à l'Afrique, à l'Asie et au Moyen-Orient présentant dès lors une diversité culturelle incontournable. A partir des années soixante-dix sa configuration s'est profondément modifiée : d'immigration de main d'œuvre elle est devenue immigration de peuplement notamment avec les regroupements familiaux et l'explosion de l'usage du droit d'asile. Rappelons en soulignant le fait, que l'origine ethnique [5] n'est pas équivalente à l'identité culturelle. Le mythe de "Nos ancêtres les Gaulois" s'efface devant une représentation plus conforme aux faits historiques, celle d'une France, mosaïque de peuples et de cultures fondue, non sans violences et douleurs, au cours des siècles, dans le cadre de l'Etat. Comme celle des individus, la mémoire collective est sujette à de profondes amnésies. Qui se souvient clairement des conditions de travail et de vie de ceux qui depuis la fin du XIXème siècle ont permis à une France sous-peuplée ou exsangue après la guerre de 14-18 d'accéder à l'évolution industrielle et de conserver son agriculture ? Qui se souvient des pogroms dont furent victimes les ouvriers italiens et belges, de la misère et de la boue des bidons-villes, des expulsions par wagons de milliers de mineurs polonais, des humiliations sociales ? Aujourd'hui, les populations migrantes ne vivent pas pour un grand nombre dans des conditions aisées et l'on ne craint pas d'expulser manu militari les enfants de ceux qui dans nos armées ont défendu la France... Cela étant rappelé, il faut souligner que le danger de la concrimination est aussi dangereux que celui de la discrimination. L'Immigré, ça n'existe pas dans l'absolu ; le cadre cambodgien, le paysan du sud marocain, le réfugié politique chilien et l'intellectuel camerounais ne partagent qu'à minima leurs expériences de la migration. Il en est de même de la notion de culture, d'accueil ou d'origine ; la Culture, ça n'existe pas comme un ensemble monolithique, immuable et univoque. Cependant dans ces oscillations idéologiques qui vont du culturalisme absolu à la négation des différences culturelles, la notion de personne est tout à tour vidée de son histoire singulière ou bien de son identité culturelle. Le cadre, le paysan, le réfugié politique et l'intellectuel vietnamiens qui honorent quotidiennement leurs ancêtres partagent une pratique et une vision du monde qui ne sont pas comparables à la Fête des morts et à la Toussaint même si une certaine froideur ethnologique pourrait y discerner un invariant relatif au culte des morts.[6] La quasi totalité des personnes que nous consultons sont dans des impasses médicales, sociales, éducatives. Parmi eux, ceux qui ne parlent pas français n'avaient jamais été écoutés dans leur langue maternelle et il va sans dire que leurs conceptions mêmes quant à leurs maladies ou malheurs n'ont jamais été entendues. L'étranger a quelque chose à nous enseigner, non pas tant des ruptures douloureuses de l'exil que de l'énergie qui lui a permis de survivre ; force souvent méconnue de ses propres enfants. Ce que nous proposons peut se concevoir comme un espace et un temps transitionnels dans lesquels des mots et des représentations peuvent prendre du sens, pour eux et pour nous.
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